Séparation

Paul attend… Il attend depuis une heure ou deux, il ne sait plus trop. Le temps échappe à la perception de l’homme qui s’éveille. Le jour filtre faiblement à travers les volets. Depuis un long moment, Paul observe ce trait de lumière. Son réveil est réglé à 6h30, le droit de se lever pour échapper à cette absence.

 

6h24.

      Six minutes. Il va pouvoir comme chaque matin, se livrer à son rituel : rasage, douche, habillage, petit-déjeuner…
Toujours dans le même ordre, toujours les mêmes gestes de célibataire.

"Non ! NON ! Je ne suis pas célibataire… Seulement depuis une semaine."

Une semaine. Plutôt une éternité. Cette horrible impression, Céline, son mariage, tout n’est qu’un rêve ; 16 ans de vie à deux, 16 ans de petits-déjeuners les yeux dans ses yeux ou presque, 16 ans d’illusions, 16 ans sans enfant. Et puis elle est partie, un matin, la semaine dernière. Partie…

Comme tous les jours, depuis une semaine, Paul va s’enfuir de cette maison vide, chaque matin un peu plus tôt. Avant ils partaient ensemble, chacun dans sa voiture mais ensemble. Maintenant il part seul, tout seul… Il arrive le premier à la banque, le premier au travail : Paul DUSCHET, Chef Comptable. Une demi-heure d’avance sur le directeur, cinq minutes plus tôt qu’hier. Il pensait que les matins prolongés aux côtés de Céline suffisaient à effacer sa déception.

"Aujourd’hui est mon nouveau jour, se dit-il en tâtant sa poche !"

Le contact froid du métal le conforte dans son idée. S’asseyant à son bureau, il vérifie qu’il n’a rien oublié la veille. Pas de travail ce vendredi 13 juin : tout est réglé, classé pour le week-end. Une autre tâche l’attend et elle porte un joli prénom, Mélanie. Mélanie FAURE, sa pensée le fait sourire. Mélanie est jeune, jolie, souriante et très attentionnée son égard. C’est vrai qu’il porte bien sa quarantaine, le parait profil de l’homme mûr et attirant pour une jeune fille.

Comment sera-t-elle habillée ?

   Paul l’imagine dans sa robe de coton noir moulante qui s’arrête à mi-cuisses, son décolleté, laissant apparaitre le sillon de ses seins, des talons aiguilles soulignant la grâce de ses longues jambes et les cheveux libres comme le vent. Il se demande si elle porte des dessous. Elle sait se rendre belle pour le rendre fou, rien que lui, il en est persuadé. Et pourquoi pas ? Il n’a rien perdu de son charme.

8h24.

   Six minutes. Le directeur va arriver. Paul ouvrira alors au reste des employés, juste le temps de s’installer avant 9h. Un dernier détail à régler. Il se lève et se dirige vers les toilettes. Au fond du couloir, une petite porte donne sur une impasse, un passage piéton toujours désert. Après s’être lavé les mains, il va déverrouiller la porte. En passant la tête dehors, il aperçoit le nez de sa voiture.

-        Monsieur Duschet ?

Sursautant, il referme la porte sans la verrouiller.

-        Bonjour, monsieur le Directeur !

-        Bonjour, je vous croyais en retard ce matin.

-        Non, non, monsieur le Directeur.

-        Bien.

 

Monsieur LOMBARD est un petit homme trapu, fendu d’une forte personnalité. Il est très sympathique et juste avec ses employés. Mais il faut savoir garder sa place, pas de familiarité, c’est lui le chef. Paul s’empresse d’ouvrir la grande porte au reste des employés. Ils sont déjà une dizaine à attendre.

-        Bonjour monsieur Duschet, clament-ils tous en cœur, quelques petits rires féminins soulignant ce salut.

Mélanie se trouve parmi eux et est habillée telle qu’il avait imaginée, mise à part la couleur de sa robe : bleue. En passant devant lui, elle lui adresse un de ses regards allumeurs dont les jolies filles ont le secret. Il lui sourit. Il sait qu’il aura droit à plusieurs regards identiques au cours de la matinée.

 

10h24.

        Six minutes. Paul est un peu fébrile. Mais ce n’est pas le moment de reculer. Elle va prendre sa pause. Paul signe les derniers papiers d’un accord de prêt et salue son client.
Mélanie se lève. Elle passe devant lui. Toute son attitude, son regard, sa démarche l’invitent à la suivre. Et ce matin, il va la suivre ! Une vague de chaleur enveloppe son ventre. Mon Paulo, c’est à toi de jouer !

Il se lève et tapotant sa poche, se dirige vers les toilettes. Mélanie semble l’attendre, comme si elle savait, l’éternelle intuition féminine ! Ses cheveux blonds en cascade sur les épaules, ses yeux bleus pétillants, ses seins lourds et fermes, tout son corps semble l’attendre.

-        Mélanie, je voudrais savoir une chose : portez-vous une culotte ?

Le sourire de Mélanie s’élargit. Sans un mot, elle soulève sa robe, découvrant ses hauts de bas, un porte-jarretelles blanc à dentelles et une petite culotte assortie. Mélanie la retire dévoilant sa belle fourrure blonde et la lui tend. Paul saisit cette main et attire ce superbe corps à lui. Leur étreinte brutale et sensuelle arrache un gémissement à Mélanie, que Paul cueille dans un baiser. Leurs désirs s’harmonisent et le corps de Mélanie se met à onduler légèrement, s’abreuvant de toutes les caresses de Paul. Paul laisse alors sa main glisser vers sa poche. Il repousse violemment Mélanie, sort son arme et tire deux fois à bout portant. Une balle se loge dans la gorge et la deuxième fait éclater le front. Mélanie s’effondre dans un choc sourd sans un cri, sa robe remontée jusqu’aux hanches et les jambes écartées. Mélanie emporte dans sa mort le visage de sa vie.

-        C’est ta faute, dit Paul en jetant l’arme dans le lavabo ! Mais, elle reviendra quand elle saura…

Quand Bruno, le gardien, attiré par les détonations, arrive dans les toilettes, Paul est déjà dans sa voiture et démarre.

 

12h24.

      Six minutes. Paul est assis dans un snack-bar. Il termine son déjeuner, une simple salade. Les clients parlent d’un cambriolage à la banque. Mais Paul n’entend pas, il ne voit que le sourire de Michèle, la serveuse. Une belle brune aux yeux verts qui chaque jour le sert avec empressement. Elle finit son service à 12h30 et il va la raccompagner chez elle. Sous sa robe à fleurs elle porte une petite culotte blanche en coton. Il l’a vue quand elle s’est baissée pour ramasser son torchon. Dans sa poche, avec le mouchoir blanc à dentelle, il a glissé le couteau à viande…

 

 

Extrait du NICE SOIR : Édition du vendredi 6 juin.

A 10h24, selon le rapport de police, ce matin, Madame DUSCHET-CONTTI Céline est décédée dans un accident de la circulation […] Sa golf a alors heurté un platane à 120 km/h. Céline est morte sur le coup. Elle avait 36 ans. Nous adressons à Madame CONTTI et à notre journaliste et collègue Patrick CONTTI, toute notre affection et notre soutien dans cette tragédie qui les prive de leur fille.