"Il est là, je le sens. Petit gibier, la nuit commence à peine."
Le loup est tapis derrière le buisson, les sens en alerte, il a senti la petite bête de loin, son odeur est venue lui chatouiller la truffe grâce à la petite brise marine. Il a attendu ce moment, cette chasse avec impatience, la lune est belle, très éclairante. Les lunes d'été sont toujours très intenses et lumineuses.
La petite bête n'a rien senti, le loup a maitrisé son approche à la perfection : agile, précis à chaque pas, et surtout très silencieux. Aucune brindille n'a craqué sous les coussinets. La petite bête ne semble ne pas avoir bougé, mais elle n'est pas encore à vue, dissimulée par l'arbre et le buisson de romarin. Mais les petits bruits qu'elle émet, permet au loup de la localiser parfaitement. Et elle sent bon.
Le loup est proche, moins d'un mètre, juste de l'autre côté du romarin. Il avance doucement le museau à travers les branches du buisson, toujours sans bruit. La victime ne se doute de rien et grignote le gland qu'elle vient de ramasser. Debout sur ses pattes arrière la queue rousse en panache, elle savoure son encas.
La tête du loup n'est plus qu'à une dizaine de centimètres lorsqu'il découvre enfin ce que sera son prochain repas, un écureuil...
"Non !" Le carnassier se fige. Sa conscience a hurlé. Un écureuil ! Il ne peut plus chasser les écureuils. Son instinct, totalement bouleversé, le retient. Il ne peut plus manger les écureuils.
Cette petite bête est devenue un emblème, un totem, le symbole de tant d'émotions, une mascotte...
Un soupir lui échappe et l'écureuil se retourne en un réflexe. Face à la gueule du loup il reste figé, plaqué au sol, paralysé de peur. Les pupilles totalement dilatées sont saturées de ce museau énorme rempli de crocs acérés. La mort est là, il ne peut pas y échapper... Les secondes s'écoulent et rien ne bouge. Le temps déroule son rythme et rien ne bouge.
Le petit écureuil bouge sa moustache, puis son autre moustache... Le loup n'a toujours pas bougé, son regard semble doux et aucun signe de violence ne semble s'y manifester. Dans la poitrine du petit être le cœur tape fort et vite, et rien n'a bougé. L'espoir pointe alors dans son esprit, la chance semble se présenter à lui. Peut-être qu'il va pouvoir s'échapper. Et rien n'a toujours pas bougé. Tout doucement l'écureuil se redresse, planté sur ses pattes arrières, et le museau du loup n'a pas bougé.
"Tu chasses avec moi ce soir ? Tu ne t'es pas endormi ?"
"Non, mais si. Je me suis réveillé pour l'écureuil."
"Je crois que je ne l'aurais pas croqué, de toute façon. Pour moi aussi, elle compte énormément."
"Je l'ai compris, vu comment tu me bouscules lorsque je ne suis pas à la hauteur..."
"Et tu as quand même bondit au devant..."
"Et oui et je sais que tu le comprends."
L'écureuil regarde le loup, la tête penchée, comme si il avait capté tout cet échange de pensées. Ou c'est juste une incompréhension : comment peut-il être toujours en vie ? Pourquoi le loup ne l'a pas croqué ?
Et d'un coup réalisant sa situation précaire et risquée, il bondit sur le tronc de l'arbre et grimpe jusqu'à la plus haute branche.
Le loup le suit des yeux jusqu'en haut, avec un regard affectueux.
"Il est temps de trouver un vrai gibier... Tu restes avec moi ?"
"Oui, la ballade va me changer les idées. Elle manque à mes journées, mais tu es là une fois par mois."
Et trois bonds plus tard, la course nous emporte plus près de la mer.
"Allons chasser le poisson, puisqu'on aime l'eau tous les deux !"